La "bruxellisation"

Lundi 20 août 2012 | Texte : © Julie Galand

Sommaire

Paru dans JV12, avril-mai 2009.

 

Décryptage de l’histoire de la destruction de Bruxelles

 

Eric Hennaut, agrégé en Histoire de l’art et archéologie, suit à la trace la préservation du patrimoine architectural de la capitale.

Il décode ici les évolutions de la morphologie de la capitale européenne. Collaborateur scientifique aux archives d’architecture moderne (AAM), il est aussi conférencier et professeur à la Cambre en préservation du patrimoine.


Bruxelles est-elle vraiment un cas d’école ?

 

EH - Cas d’école oui, unique non. Toutes les villes du monde soumises à la modernisation subissent ce genre de bouleversements. Mais celui-ci a atteint à Bruxelles une intensité inouïe, issue de la conjonction de plusieurs facteurs.

Premièrement, la multiplication des organes administratifs, économiques et politiques a atteint à Bruxelles un degré relatif tout à fait inhabituel. La Belgique étant l’un des pays à s’être relevés le plus vite économiquement après la guerre, la fièvre de la construction l’embrase donc très tôt, dès les années 60-70. D’un point de vue morphologique, Bruxelles était alors peu préparée à cette spéculation, car profondément marquée par une tradition assez rare de maisons particulières. Le développement du tertiaire s’est alors fait sans transition, et les petites maisons ont cédé brutalement la place aux grandes tours.

Autre élément important, la structure politique de la Belgique n’a pas favorisé la reconnaissance unanime de son patrimoine. Aujourd’hui encore, il existe peu de monuments auxquels l’ensemble du pays s’identifie comme à un « héritage » commun. Sans compter qu’avant la régionalisation, la préservation du patrimoine était une compétence double, partagée par la Flandre et la Communauté française. Les fréquents désaccords entre les deux commissions ont fait traîner de nombreux dossiers. Enfin, l’autonomie bruxelloise est récente et ses moyens financiers limités par rapport à d’autres capitales.

Quant à l’Europe, interlocutrice floue et difficile à appréhender, elle n’a pas manifesté de position claire vis-à-vis de cette problématique.

Du point de vue des mentalités, outre une assez faible valorisation belge de l’architecture, les milieux architecturaux ont longtemps été peu intéressés par l’Histoire et plus inscrits dans une optique de rupture. Alors que d’autres pays ont un plus grand sens de la continuité historique.



Le système actuel de sauvegarde est-il efficace ?


EH - Son problème, c’est qu’il est fondé sur une conception très libérale du droit à la propriété.

Alors que d’autres pays considèrent que les obligations qui découlent de la possession d’un bien classé relèvent de la responsabilité du propriétaire, en Belgique on a tendance à considérer que le classement est une source de coûts supplémentaires et donc un obstacle à l’exploitation ou à la jouissance du bien.

C’est pourquoi des mécanismes de « compensation » et de subsides ont vu le jour, menant à ce constat : l’obstacle majeur au processus de classement du patrimoine pourrait être de plus en plus la question de son coût, sans cesse augmenté. Une telle politique est difficilement tenable à long terme et devrait être modifiée, mais aussi davantage centrée sur la sensibilisation et la préservation plutôt que sur l’« ultime recours » de la restauration. Or, aucune législation actuelle n’oblige vraiment à l’entretien d’un bien. Enfin, il reste beaucoup à faire concernant les intérieurs des bâtiments classés, mais encore mal connus.

 

Que nous apprennent les pièces de la collection Max Rosendor ?

EH - Elles sont un témoignage de la qualité des bâtiments détruits et de l’ampleur des destructions effectuées ces dernières décennies.

Car il s’agit là de pièces extraordinaires, alliant la qualité des matériaux au travail d’artisans dont la maîtrise technique est aujourd’hui perdue, ou ne se rencontre plus que chez quelques restaurateurs spécialisés.

J’espère que quelques pièces pourront être conservées par la Région. Car si l’idée de leur redonner vie est séduisante, cette exposition-vente s’accompagnera d’une dispersion hors de Bruxelles, avec laquelle s’évanouira la possibilité de leur étude et de leur inventaire.

C’est un peu de la mémoire de Bruxelles qui se trouve ainsi semée aux quatre vents. Mais le Bruxelles en « pièces détachées » auquel ces pièces appartenaient a lui déjà disparu, englouti par le phénomène auquel il a bien malgré lui donné son nom.

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