Visages du Japon : Tokyo et Okinawa

Paru dans JV 59 - Fev-mars 2017 | Texte : Aurélie Koch, Photos : Frédéric Ducout

Le chapelet d’îles de l’ancien royaume des Ryukyu, dont la principale est Okinawa, s’étire au sud du Japon sur 1.000 kilomètres. Okinawa est célèbre auprès des Occidentaux modernes pour deux faits marquants, aux antipodes l’un de l’autre. Le premier est que ses côtes ont été le théâtre d’affrontements inédits entre Américains et Japonais, lors de la tristement célèbre Bataille d’Okinawa en 1944, qui fit plus de 200.000 morts côté japonais, dont près de 150.000 civils, habitants de l’île. L’autre raison de sa notoriété est plus souriante : c’est à Okinawa qu’a été dénombré la population de centenaires la plus importante au monde, jusqu’il y a peu (le village italien d’Acciaroli aurait détrôné l’île de cette glorieuse réputation en septembre dernier). Cette particularité a été mise en évidence dans les années 70, avec les études du docteur Makoto Suzuki, mettant en valeur les avantages d’un « régime d’Okinawa ». Mais si l’île jouit auprès des Japonais d’une réputation unique, c’est aussi pour sa tolérance, son indépendance d’esprit et son artisanat prolifique. Des qualités qui, elles, remontent à une époque bien antérieure à la Seconde Guerre mondiale.

Au gré des vents du Pacifique

okinawa2Le nom ancien d’Okinawa est Ryukyu, en référence aux noms des anciens seigneurs qui y habitaient et luttaient, dès le XIIe siècle, pour étendre leur suprématie sur les îles alentour. Divisée un temps en trois principautés distinctes, l’île est réunifiée en 1429 par Shô Hashi. Il s’impose auprès des autres familles et fonde le royaume des Ryukyu et la dynastie des Shô, incontestée pendant les 450 années suivantes. Le château de Shuri devient le centre du pouvoir, et Ryukyu étend son influence et sa prospérité, guidée par son avantage géographique. Proche de la Chine, du Japon et de l’actuelle Taïwan, elle est au centre de tous les échanges commerciaux et agit comme diplomate entre les différentes puissances rivales qui l’entourent. L’artisanat s’y développe, ainsi qu’un certain esprit d’indépendance.

Avec pour centre politique le château de Shuri, le royaume des Ryukyu prospéra en tant que plaque tournante du commerce entre la Chine, le Japon et le reste de l’Asie. Ces échanges apportèrent aux Ryukyu les techniques de tissage, de laque, de céramique qui forment encore les artisanats traditionnels d’Okinawa. Au début du XVIIe, l’île est envahie par un clan venu de l’actuel Kagoshima (au sud de l’île du Japon) et le royaume des Ryukyu est mis sous leur contrôle politique. En 1868, la signature d’un traité de commerce avec les États-Unis est une boulette que le pouvoir des shoguns, au Japon, paie comptant : ils sont écartés de la vie politique et l’impérialisme reprend les rênes du pays. L’empereur Meiji (qui n’a que 15 ans), nationaliste et hostile à tout ce qui vient de l’étranger, destitue tous les shoguns et impose l’organisation de provinces. En 1879, le royaume des Ryukyu est visé à son tour : pour avoir voulu continuer à commercer avec la Chine, il est puni, destitué et transformé en département sous le nom d’Okinawa. Les habitants de l’île sont sommés de se mettre au japonais, d’en adopter les usages et les noms. Le petit-fils de Meiji, Hirohito, mène après 1912 (à la mort de son grand-père) la même politique militaire, expansionniste et dominatrice amorcée en 1910 avec l’annexion de Taïwan. Okinawa, île stratégique des mouvements marchands dans cette région d’Asie, est particulièrement exposée. Le Japon, après avoir attaqué la Chine en 1937, s’allie aux Allemands et à l’Italie en 1940, envahit l’Indochine en 1941, attaque Pearl Harbour la même année, puis prend Singapour, les Philippines, la Birmanie… provoquant l’ire des États-Unis qui débarquent sur les côtes des îles du Sud Japon en 1945. La Bataille d’Okinawa, sanglante, fit plus de 200.000 morts, dont la moitié de civils. Hiroshima et Nagasaki mettent fin à la guerre, et le Japon se trouve sous domination américaine jusqu’à 1952.

Les charmes de la tradition

Okinawa, elle, reste contrôlée par l’oncle Sam jusqu’en 1972. Elle ne redevient pas autonome mais est restituée au Japon, et continue d’abriter la plus grande base militaire américaine, qui occupe pas moins de 20% de sa surface. Si elle a en commun avec le reste du Japon une aversion pour la guerre qui est aujourd’hui inscrite dans la Constitution (le Japon et ses empereurs et gouvernements successifs ont, depuis les deux bombes d’Hiroshima et Nagasaki, déclaré la guerre hors-la-loi), cette habitude d’autres pays à disposer de son territoire à sa place a développé parmi sa population une identité forte. Les habitants d’Okinawa, s’ils sont politiquement rattachés au Japon, n’en sont pas moins fiers de leurs particularités, de leur culture, de leur histoire… et de leur expansion économique qui n’a pas suivi le train furieux du Japon après les années 50. Cela leur a permis de préserver une nature, un artisanat, des traditions qui sont aujourd’hui des trésors touristiques. Japonais d’adoption, ils ont gardé un caractère qui leur est propre. Les échanges commerciaux entre le Japon et Okinawa, réels, ont achevé de tisser les liens entre Japonais insulaires et habitants d’Okinawa. Aujourd’hui, de nombreux Japonais viennent en vacances sur l’île. Mais Okinawa s’épanouit en marge de la tutelle de son aînée du Nord. Et c’est bien ce qui en fait (aussi) son charme.

okinawa3Ce qu’il faut faire à Okinawa

• Visiter le château de Shuri à Naha
• Visiter l’ancienne résidence d’été du roi, Shikina Garden
• Aller au marché aux poissons à Naha (Makishi Public Market) et y déjeuner (un grand plateau de sushis est à 10 euros : c’est le restaurant le moins cher du Japon !)
• Aller voir le musée Mémorial de la Paix (Okinawa Prefectural Peace Memorial Museum, site : http://www.peace-museum.pref.okinawa.jp/english/
• Dormir dans un ryokan (hôtel construit à proximité d’une source d’eau chaude)
• Prendre un petit-déjeuner typique du régime d’Okinawa
• Faire un tee-shirt en imprimant ses propres couleurs au magasin Shuri Ryusen (site : shuri-ryusen.com/en/)
• Goûter des seagrapes
• Voir le village des poteries (le quartier de Tsuboya à Naha et le village de Yomitan situé dans le centre d’Okinawa)
• Acheter du sel d’Okinawa
• Prendre le bateau pour Zamami Island et aller passer une journée sur cette île : y faire de la plongée, du bateau, s’y baigner (site : zamamitouristinfo.wordpress.com).

 

 

Ce qu’on peut éviter de faire

• Voir un spectacle de danse d’Okinawa pendant le dîner. C’est un peu long et fastidieux, à moins que vous ne soyez très branché danses locales.
• Visiter une ferme de bœuf Wagyu. Contrairement aux photos qui circulent en Europe, les bœufs Wagyu ne sont pas exactement choyés, massés et dorlotés. Ils sont élevés à plusieurs dans des enclos de quelques m2, ne font jamais plus de 10 mètres dans leur vie, sont engraissés sur pattes avec un mélange à base de paille de riz, de soja et de malt dont on fait la bière. Résultat, les bêtes ont une viande particulièrement persillée (striée de graisse), la langue un peu engorgée et bleuie par l’alcool, l’œil vague. On est loin des verts pâturages et des masseurs attitrés. Mais la viande est très bonne, c’est indéniable.

 

Deux hôtels dans le Sud d’Okinawa

Okinawa Daiichi Hotel : Cette pension située non loin de la rue principale de Naha est assez petite, avec de grandes chambres et pas de jardin, mais elle présente l’intérêt de proposer des petits-déjeuners typiques d’Okinawa. 50 ingrédients pour 595 calories tout juste, avec herbe éternelle, aloé vera, échalote, winter lemon, papaye, baie de gogi, épinards d’Okinawa, kiwi, ananas, algues de Mozuku, umeboshi (petites prunes vinaigrées)… et un thé composé de plus de 40 herbes ! Il faut goûter cela un jour… et savoir qu’à Okinawa, on ne petit-déjeune pas comme cela tous les jours !
1 Chome-1-12 Makishi, Naha, Okinawa Prefecture 900-0013, Japon, tél : +81 98 867 3116. Réserver via l’office du tourisme par mail : visitokinawa@ocvb.or.jp. Compter environ 150 euros la nuit.

Hyakuna Garan : Au sud-est de l’île, à environ deux heures en voiture de Naha, cet hôtel est absolument magnifique. En bord de mer, le long de Miibaru Beach, il est construit autour d’un arbre central. Toutes ses chambres ont une vue sur l’océan, et sont aménagées dans un style très confortable et moderne. On peut prendre un bain bouillant extérieur de 5 heures du matin à minuit. Ce ne sont que des baignoires et non des ryokan (un ryokan est une source d’eau chaude naturelle), mais c’est tout de même exceptionnel.
Hyakuna Garan - 1299-1 Hyakuna Yamashitahara, Tamagusuku-Aza, Nanjo City, Okinawa, Japan, tél : +81 98 949 1011, site : hyakunagaran.com. À partir de 450 euros la nuit. Les enfants de moins de 13 ans ne sont pas acceptés, sauf s’ils sont avec leurs parents et qu’une maison entière est louée.

Un bon restaurant de poisson

• Itoman Gyomin Shokudo : Un très bon petit restaurant de poisson, connu des autochtones. Compter environ 45 euros par personne. 4-17 Nishizakicho, Itoman 901-0306, Okinawa Prefecture, tél : +81 98 992 7277, facebook : itomangyominshokudo.

 

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