Lisbonne, ville pastel

Paru dans JV25, été 2011 | Texte : Marianne Lohse

 

 

A deux heures d'avion de Bruxelles, Lisbonne est une destination qui fascine.

Une ville à la douceur de vivre presque méditerranéenne, des rues et collines à arpenter, des quartiers typés et au hasard d'un virage, une vue sur la Mer de Paille.

Il y a à Lisbonne tout ce que l'on peut attendre d'une capitale européenne au passé glorieux : un patrimoine hérité de son empire perdu, des jardins sublimes, des musées réputés comme le Centre Culturel de Bélem ou le Musée Calouste Gulbenkian.

Mais c'est aussi la modernité que l'on vient chercher à Lisbonne. L'art contemporain y a ses musées, galeries et expositions. C'est à Lisbonne, sur les docks d'Alcantara que la plasticienne Joana Vasconcelos, invitée des lieux les plus prestigieux en Europe, y a installé son atelier.


 

Dans « L’état des choses », le cinéaste Wim Wenders faisait tourner à l’envers les aiguilles de l’horloge accrochée au mur du British Bar, Cais do Sodré. Et c’est vrai que le temps, à Lisbonne, paraît souvent comme suspendu, irréel. Le romancier José Cardoso Pires s’en amusait : « ce n’est pas par hasard que les vieux Lisboètes donnent à l’horloge le nom de “crabe”, lequel est un animal à la marche trompeuse. » Ici, on peut oublier les heures qui passent, à ne rien faire, à paresser d’un miradouro (belvédère) à l’autre, en contemplant les maisons pastel qui dégringolent vers le Tage, cette Mer de paille.

A moins que, saisi d’une infatigable bougeotte, on n’explore escaliers à pic et venelles. Il y a toujours un tramway jaune bringuebalant, un ascenseur métallique, vestige d’un autre siècle, une lecture complice (Pessoa bien sûr mais aussi Tabucchi ou Quignard) pour vous conduire quelque part. Bâtie sur sept collines, comme Rome, Lisbonne peut Prétendre, elle aussi, au statut de ville éternelle. Elle n’a jamais cessé de fasciner artistes, écrivains. Et touristes. Crise financière oblige, les Portugais se serrent la ceinture. N’empêche, il règne dans la capitale une douceur de vivre très méditerranéenne. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette terre extrême qui s’avance à l’embouchure du fleuve vers l’Atlantique. être ici, c’est déjà être ailleurs, rêver de ces galions explorant les côtes africaines, voguant vers l’Asie, avec à bord cartographes, botanistes, missionnaires…

Que reste-t-il de cet empire qui s’étendait du Brésil à l’Inde ? Un patrimoine taillé dans la pierre comme à Belém, l’incontournable Monastère des Hiéronymites, l’un des plus stupéfiants exemples de l’architecture manuéline avec ses coraux et ses coquillages sculptés. Une citadelle, puissant symbole de l’âge d’or, autrement plus belle que la caravelle de béton, hommage aux Grandes découvertes érigé sous Salazar et portant à sa proue rois et capitaines. Et des jardins aussi, de merveilleux jardins (Ultramar, Estrela) où furent acclimatées les plus sublimes espèces tropicales. En juin, le jasmin y embaume et des vieillards paisibles s’y affrontent dans d’interminables parties de manille.

Sans renier son âme, Lisbonne se réinvente sans cesse, saisie depuis l’Exposition universelle de 1998, d’une frénésie de modernité. L’Expo a fait surgir à l’est un vrai quartier, Oriente. Résidences de luxe, shopping mall, Oceanorium, casino : rien n’y manque.


 

Balade dans la ville

On se promène en famille, Parc des Nations, entre les pavillons futuristes signés des plus grands architectes, avant de grimper dans le téléphérique et de zoomer sur les eaux du fleuve. Ne pas hésiter, pour s’y rendre, à prendre le métro : la gare de l’Orient conçue par l’Espagnol Santiago Calatrava, avec ses auvents de verre et sa forêt de piliers d’acier mérite le voyage.

De retour à l’ouest, on ne ratera pas le Centre culturel de Belém, en forme de mastaba, imaginé par Vittorio Gregotti. Il est à la cité lusitanienne ce que le Tate Modern est à Londres. Le CCB abrite la collection Berardo, née de la passion boulimique pour l’art contemporain du richissime homme d’affaires José Berardo. Enfant, il collectionnait les boîtes d’allumettes. Aujourd’hui, sur 10.000 m², le Museu colleçao Berardo réunit 900 oeuvres majeures, de Picasso à Jeff Koons, en passant par Mondrian, Duchamp, Bacon ou Wahrol. Ses expositions temporaires sont très courues. Comme « Amalia, cœur indépendant » consacrée à la chanteuse de fado Amalia Rodrigues. Ou « Sans filet », dédiée à la plasticienne Joana Vasconcelos.

L’intérêt pour l’art contemporain s’affirme. En dehors d’espaces institutionnels comme le centre Perdigão, rattaché au Musée Calouste Gulbenkian, le Musée du Chiado remodelé par Wilmotte ou la fondation Culturgest financée par la Caisse des Dépôts, on a vu éclore quantité de galeries privées et de collectifs d’artistes tel Zdb, basé dans le quartier de Bairro Alto. Une autre Lisbonne…

Cap sur Baixa

La ville basse détruite par le tremblement de terre de 1755. Sur la place du Commerce bordée d’édifices classiques bat le coeur de la cité reconstruite par le marquis de Pombal. Calcaire et basalte y dessinent les trottoirs en noir et blanc.

On empruntera la rue piétonne Augusta pour parvenir au Mude, le musée du design et de la mode, ouvert en 2009, dans les locaux de la Banque d’outremer. Murs bruts et comptoir de marbre vert : on chemine d’un tailleur new-look de Christian Dior au siège du Danois Hans Wegner, choisi par Kennedy pour son débat télévisé, en 1960, avec Nixon. Ce sont 2.400 vêtements et objets illustrant des décennies de création rassemblés par Francisco Capelo, personnage-clé de la scène arty. Dans la salle des coffres on a récemment montré, dans des compartiments blindés, 500 variétés de graines plantées au Portugal (fève, sésame, maïs, etc.), histoire de sensibiliser le public à la biodiversité et à un capital culturel : ces semences étaient autrefois données en dot.

A quelques encablures, dominée par la silhouette massive du Château São-Jorge, la capitale branchée se fait village : jardins étroits, linge claquant aux fenêtres, odeurs de sardines grillées… C’est Alfama, l’ancien quartier maure épargné par le séisme. Il est rare que l’on n’y fête pas quelque saint patron. Cette nuit-là, sur une placette, une voix jeune s’échappe d’un bar de fado vadio, le fado amateur. Des marchandes de bacalhau (morue) ont planté leurs tables, leurs chaises et leurs braseiros. Des retraités boivent au retiro dos pacatos (le coin des calmes) un vin rouge épais, sous l’effigie d’une exquise madone du XVIIe siècle.

Sur les docks, la fièvre monte

Dans les entrepôts reconvertis de Santos, Alcantara et Santo Amaro, bars et night clubs pullulent, attirant les meilleurs DJ. Techno, house, latino : toutes les musiques s’y marient. La faune nocturne n’a pas déserté pour autant les ruelles de Bairro Alto, la ville haute colonisée par des discothèques et boutiques alternatives. Voisin de Bairro Alto, le Chiado a vu défiler tout ce que Lisbonne comptait d’intellectuels. Et de mondains. « Monter » à Chiado n’était-ce pas, autrefois, synonyme de soirées à l’Opéra et de soupers fins ? Mille fois photographié, un Fernando Pessoa de bronze est assis à la terrasse du café A Brasileira. En réalité, son ombre n’a jamais quitté la rue Garret.

 


Joana Vasconcelos et son atelier d’artiste

Un espace gigantesque sur les docks d’Alcantara : la plasticienne Joana Vasconcelos y a installé son atelier. Elle est née à Paris où ses parents, un couple d’intellectuels, avaient émigré. Elle a quarante ans à peine et sa carrière culmine. Elle a exposé en 2011, à Venise, au Palazzo Grassi pour « The world belongs to you ». Après Murakami et Venet, elle investira le château de Versailles, tout au long de l’été 2012, à l’invitation du président Jean-Jacques Aillagon. « J’ai la chance, dit-elle, d’appartenir à la première génération élevée en démocratie ». 

Difficile de rester indifférent à cette approche critique de la société de consommation, à cette ironie. Dans l’atelier, un escarpin géant, fait de casseroles d’aluminium empilées (Marilyn) voisine avec un piano enrobé de macramé (Piano Dentelle) et une tentaculaire sculpture rampante (tricot, crochet, polyester) plus inquiétante que joyeuse qu’elle a d’ailleurs baptisée « Contamination ». Joana est connue pour ses détournements de matériaux et objets usuels (azulejos, bestiaire de Bordalho Pinheiro), sa passion pour le travail manuel. Avec elle, l’esthétique kitch prend une autre dimension.


Carnet pratique

Y aller

Avec TAP, Air Portugal assure plusieurs vols quotidiens aux départs de Bruxelles et Paris.

Tél : 02 720 30 77 et +33 (0) 820 319 320.

site : flytap.com.

S’informer

L'office du tourisme de Lisbonne n'est pas ouvert à Bruxelles, il faut donc contacter celui de Paris.

Tél : +33 (0) 78 79 18 18. A Paris : +33 (0) 811 65 38 38. Site : visitlisboa.com.

Décalage horaire. GMT+1 : Quand il est 12 heures à Bruxelles ou Paris, il est 11 heures à Lisbonne, tout au long de l’année.

Se loger

Fontana Park Hotel. Non loin de la Place Marquès de Pombal, ce Design Hotel a été aménagé par l’architecte Francisco Aires Mateus dans une ancienne usine dont le lobby conserve les poutrelles métalliques. Sa déco mise sur la bichromie : blanc et noir. Les sièges de bois brut du bar, le patio au mur d’eau évitent le style factory. Le minimalisme des 139 chambres va de pair avec un confort optimum. Les baignoires à remous et éclairage chromatique sont signées Philippe Starck. Très couru, le restaurant Saldanha Mar propose d’excellents fruits de mer.

Adresse : 2 rua Eng. Vieira da Silva
Tél : + 351 210 410 600
Site : fontanparkhotel.com

 

Bairro Alto Hotel. Cet hôtel de charme (un bâtiment rénové du XIXe siècle) appartient à la chaîne de Grace-Leo Andrieu. Ses 55 chambres donnent toutes sur la belle place Luis de Camoès. On aime la sobriété des boiseries polychromes, les salles de bain mêlant marbre et carreaux de ciment, la terrasse ensoleillée du sixième étage.

 Adresse :  2 praça Luis de Camoès
 Tél : + 351 21 340 82 22
 Site : bairroaltohotel.com

 

• York House. Cet ancien couvent du quartier de Lapa a reçu plus d’une célébrité, de Marguerite Duras à John Le Carré, séduits par le calme de son délicieux jardin. La décoration, revue par Filipa Lacerda, mixe avec succès meubles anciens et icônes du design.

Adresse : 32 rua das Janelas Verdes
Tél : + 351 21 396 24 35
Site : yorkhouselisboa.com

 

Circuler

La Lisboa Card donne libre accès au métro et au réseau de bus, tramways et ascenseurs gérés par la compagnie Carris. Ne pas rater la pittoresque ligne 28 qui passe par les vieux quartiers. De 15 à 30 € (entrée gratuite dans de nombreux musées).

  

Se restaurer

Tasca da Esquina, 41C rua Domingos Sequeira, tél : +351 919 837 255.

Rien de tel que cet élégant « bistrot du coin » ouvert en 2009, dans le quartier de Campo de Ourique, pour goûter à une cuisine de terroir, revisitée et allégée. Le médiatique chef Vitor Sobral y a remis au goût du jour les « petiscos », les tapas lisboètes dont toute la ville raffole, président de la République en tête. épatants açorda (soupe à la coriandre) et chinchard grillé.

Tavares, 37 rua da Misericordià, tél : +351 213 421 1

Réveillé par José Avillez, ce restaurant ouvert en 1784 revient en force : le jeune chef, passé par les cuisines de Ferran Adrià, Alain Ducasse et Eric Frechon, a décroché une étoile au Michelin. Atypique, Avillez ne s’est mis aux fourneaux qu’après des études de marketing. A ne pas manquer : les "oeufs d'or" (cuits basse température), les rougets à l'encre de seiche, le parfait au chocolat servi avec un Porto Churchill de dix ans d'âge.

 

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