Qui est Michaël Borremans

Paru dans JV 62 - Septembre 2017 | Texte : Guy Gilsoul, Photos : The Promise III, 2016.© Peter Cox. Zeno X Gallery, Antwerp

Étrange autant qu’intrigante, la peinture de Michaël Borremans s’impose avec une rare puissance.

En 2000, Michaël Borremans (né en 1963) ne peint que depuis quatre ans lorsqu’il est invité à exposer en solo au SMAK, le musée d’art actuel de Gand, l’une des institutions muséales les plus pointues d’Europe. Et pourtant, il s’agit bien de peinture à l’huile. Pire, d’art figuratif. Certes, Luc Tuymans, dix ans plus tôt, avait sans doute préparé le terrain. Comme pour ce dernier, le succès est immédiat. Borremans rejoint les artistes de la Zeno X Gallery d’Anvers et trois ans plus tard, l’écurie du galeriste new-yorkais David Zwirner. Il est en de très bonnes mains. Du coup, très vite, on retrouve son nom affiché à Bâle, Londres, Cleveland, Dublin et en 2006, à Paris, suite à l’invitation d’Antoine de Galbert, le fondateur de la Maison rouge. Depuis sa grande rétrospective présentée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, ses œuvres ont circulé à Tokyo, Tel Aviv, Londres ou encore Malaga et se retrouvent aujourd’hui dans les meilleures collections privées et muséales du monde.

Pourquoi à la fois ce succès commercial (une de ses toiles a été adjugée 2 700 000 euros en 2015) et cet engouement de la part d’un public bien plus large ? Au premier abord, l’œuvre rassure : c’est bien, très bien dessiné et très bien peint. De plus, elle intrigue et résiste à la simplification. En fait, elle contient une étrangeté insaisissable qui n’est pas sans évoquer le fantastique à la belge même si l’univers onirique de David Lynch n’est jamais très loin. Il s’y hume un parfum du Nord, un air gorgé de pluies à venir, une saveur de terre grasse, le tout, sur un ton réaliste d’une rare intransigeance. On cherche à comprendre, à chercher dans les compositions une illustration, un discours, une question : « Une bonne œuvre d’art explique le peintre, n’est ni une réponse, ni une question mais un nœud. » Comme Magritte, le but poursuivi est donc bel et bien de provoquer une énigme. Le regard pris au piège cherche par exemple à identifier le personnage représenté, lui donner un caractère, des sentiments, une profession. Il n’y parvient pas tant Borremans évite le portrait au profit de visages qui ne renvoient à rien de connu tout en possédant quelque-chose d’universel. Il les veut sans psychologie, là et simplement humains. De même, le choix des vêtements portés par les modèles ne permet pas de localiser ni dans le temps ni dans un lieu la figure de la scène. Ils sont fabriqués par l’artiste lui-même, parfois en carton découpé ou acquis, par exemple, dans un magasin de déguisements. Et puis, il y a le décor, souvent en flou et de toute manière là aussi, incongru même si l’un ou l’autre détail induit une hypothèse aussitôt remise en cause. Résultat : l’œil parcourt la composition, s’arrête aux fragments, revient à l’ensemble, repart à l’aventure et cela faisant, active surtout l’observation de la seule maîtrise d’un art, les coups de brosse, les glacis, les superpositions, les lumières, les tonalités, les rythmes, les espaces… En un mot, ce qui, depuis toujours, définit « la peinture ».    

Tout commence par un dessin

Avant de se retrouver seul face au chevalet, Michaël Borremans a déjà bien entamé l’œuvre à venir. La procédure qu’il suit, étape après étape et suivant une longue maturation, montre en quoi, même s’il se nourrit des exemples de la peinture ancienne, il est aussi un peintre de notre temps au fait des techniques du cinéma et de la photographie. Pourtant, tout commence par la spontanéité du travail au crayon : « Dans la pratique du dessin, nous confiait-il, tu es Dieu. Il n’y a que toi et ton tracé. Et cela, c’est enivrant. » Sur des feuilles et des feuilles, avec une précision chirurgicale que lui apporta la pratique de la taille douce (c’était avant ses 33 ans et sa décision de devenir peintre), il laisse peu à peu advenir intuitivement une idée et déjà l’une ou l’autre manière de la représenter de manière non explicite. Il va ensuite construire cette vision de manière très réelle comme un metteur en scène de théâtre. Il cherche les « acteurs » (parmi ses amis et son entourage le plus souvent), les costumes et les accessoires. Dans son studio, il monte alors le décor et ajuste les lumières artificielles, souvent assez fortes à la manière du Caravage. Parfois, il prend la caméra et filme ce théâtre de l’immobilité en longs plans fixes ou par rotations panoramiques. Mais surtout, il en tire une photographie qui devient le véritable point de départ de la peinture.

Dans l’atelier du peintre

Michaël Borremans possède deux ateliers gantois. Le premier acquis voici plus de 20 ans est une ancienne menuiserie sur les murs de laquelle rien ne vient troubler la beauté des briques mordues par le temps. Le second, une ancienne chapelle baroque, est dominé par une grande statue de la Vierge. Il y pénètre après avoir revêtu un costume sombre : « par respect pour moi et pour la peinture » explique-t-il. L’homme se met au travail. Pendant deux, voire trois mois, dès qu’il sent le moment venu, il rejoint ces endroits, s’y enferme : « À ce moment-là, je n’ai plus aucun lien social. J’ai besoin de vivre avec mes œuvres. Je ne dois être distrait par quoi que ce soit. » Et là, avec la peinture pour seule compagne, il peint à la lumière naturelle, nuancée et vivante telle qu’il l’aime du côté de Gand. À ce moment de la procédure, d’autres peintres anciens ou modernes l’accompagnent. Si l’on peut chercher du côté de Magritte, sa volonté de provoquer chez le spectateur une sorte de décharge électrique, une perturbation mentale, ce sont bien d’autres, appartenant à la tradition, qu’il retrouve lorsque, la brosse à la main, il reproduit l’image de son théâtre de l’absurde. On songe alors aux peintes belges du XIXe siècle et à leur maître, Gustave Courbet. Oui, il y a bien dans la peinture de Borremans un ancrage dans l’art de nos régions. Mais alors, on devrait citer la maîtrise de Van Eyck, renvoyer à l’écriture de Rubens, relever la scénographie d’un Fernand Khnopff ou encore le goût pour l’archétype des expressionnistes flamands. Bref, on pourrait croire à un éparpillement. Pire, à une forme de régionalisme. En réalité, le succès mondial de sa peinture en est un démenti.

Borremans ne limite pas l’art de peindre à une histoire belge. Il s’agit plutôt d’une plongée au cœur du monde des peintres. Et en premier peut-être à Diego Velasquez dont on sait combien Les Ménines résistent elles aussi à l’explication. Or, l’artiste espagnol est un peintre aussi audacieux que précis qui ouvrira la voie à d’autres comme Goya, à son tour, admiré par le peintre flamand. Au fil des ans et des rencontres, et puisque comme il le déclarait, « la peinture, comme le pain, le ciel ou la forêt, sera toujours là », c’est aussi Zurbaran, Le Caravage ou encore Chardin qui nourrissent ce qu’il appelle, son « addiction », peindre. Provoquer les écritures en opposant la fulgurance de la brosse à la lenteur du personnage, l’aspect fini du sujet et l’inachevé du lieu ou d’un détail pourtant posé comme une focale, le réalisme apparent et l’aspect fantômatique, voire totalement artificiel de sa texture… Et ainsi, peu à peu, produire une « image » qui, comme il le confiait, « nous capte dans le mystère qui lui est propre ».

 

 

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