Préparer sa succession en Belgique

Paru dans JV39 - octobre/novembre 2013 | Texte : Frédéric Lejoint

Comment se préparer afin de ne pas faire subir un impact fiscal trop lourd à sa descendance? Les tarifs pour une succession « subie » sont en effet très lourds, tant en Belgique (27 % à 30 % en ligne directe et jusqu’à 80 % en ligne indirecte) qu’en France (45 % en direct et jusqu’à 60 % en indirect).


Droit civil

En cas de décès, la succession sera ouverte chez le notaire. Les aspects de droit civil seront traités en premier, avant de passer aux aspects fiscaux, et ce tant en France qu’en Belgique. Avec trois points qu’il faut mettre immédiatement en avant dans le cas d’une succession en Belgique.

  1. Premièrement, s’il n’y a pas de droits de succession entre époux en France (depuis 2007), le conjoint survivant sera réservataire en Belgique, et donc amené à payer des droits de succession au tarif en ligne directe (jusqu’à 30 % pour la tranche supérieure).
  2. Deuxièmement, si un conjoint peut être totalement déshérité en France, il aura droit à la moitié du patrimoine lors d’une succession en Belgique.
  3. Troisièmement, les enfants ont des parts réservataires lors du décès d’un des parents, parts qu’il sera légalement tenu de respecter.

A l’ouverture de la succession, le notaire déterminera tout d’abord le régime matrimonial des époux (si le défunt était marié).
A cet effet, il vérifiera l’existence ou non d’un contrat de mariage. En l’absence de celui-ci, ce sera le régime légal qui s’appliquera. « Dès qu’il y a un élément d’extra-néité, la détermination du régime applicable se complexifie », constate Hélène Cohadon (Wealth Management &  Structuring à la Banque Transatlantique Belgium). « De manière générale, en l’absence d’un contrat de mariage, ce sera le lieu d’établissement de la première résidence conjugale qui sera pris en considération pour déterminer les règles qui s’appliquent. Un couple dont les époux sont de nationalités différentes et qui ont vécu dans plusieurs pays, n’ont pas conscience que leur régime matrimonial n’est pas forcément le régime légal du pays de leur nationalité. »

En présence d’un contrat de mariage, deux grands cas de figure existent : la séparation de biens ou la communauté de biens.


Séparation de biens

Dans le premier cas, si le patrimoine des deux époux est très déséquilibré, il peut être intéressant de faire choix d’une clause prévoyant sous certaines conditions une créance de participation qui permettra à l’époux survivant de se voir attribuer au titre d’avantage matrimonial non taxable tout ou partie des biens du conjoint pré-décédé. Celle-ci sera soumise aux droits de succession, afin que le conjoint survivant ne soit pas totalement démuni en cas de décès de son partenaire. Pour Pascale Trussart (Senior Legal & Tax Officer chez Lombard Odier), « si les époux français mariés sous un régime de communauté universelle peuvent choisir de le modifier, le régime de la séparation peut les inquiéter, car il faut passer par un acte notarié qui sera enregistré contenant l’inventaire des biens partagés entre les époux ce qui offre une transpa- rence par rapport au fisc. »


Communauté de biens

Dans le cas d’un mariage en communauté de biens, il sera nécessaire de bien vérifier les clauses d’attribution au conjoint survivant. On note qu’en présence de conjoints mariés en France, il est très fréquent que le contrat prévoie des avantages matrimoniaux telle une clause d’attribution intégrale. En France, il n’y a jamais eu de droits de succession lorsque le conjoint reçoit un bien par application d’un avantage matrimonial. Le conjoint survivant n’étant pas un héritier légal en France, c’est une forme de protection qui est très fréquente.

« Or en Belgique, au décès du premier conjoint, ce type de disposition sera assimilé à un legs et sera donc soumis aux droits de succession sur tout ce qui dépasse la moitié de la communauté. Le risque est de devoir payer des droits de succession lors de la mort du conjoint alors qu’on pensait ne pas devoir en payer. Sans compter qu’à la mort du conjoint survivant, l’héritage de ce dernier sera une nouvelle fois taxé », explique Pascale Trussart (Lombard Odier).

« Pour chaque Français expatrié que nous rencontrons, la première chose à faire sera de vérifier les clauses de son contrat de mariage », confirme Kim Descamps (Adviseur Estate Planning chez KBC), « car certaines sont taxées différemment en France et en Belgique ». L’une des solutions serait alors de remplacer la clause d’attribution intégrale par une clause d’attribution optionnelle.


Clause d'attribution optionnelle

« Avec une telle clause, le conjoint survivant peut choisir librement de ce qu’il souhaite hériter, ce qui permet d’opter pour la meilleure solution soit d’un point de vue fiscal soit d’un point de vue familial lors du décès d’un des deux conjoints. C’est un conseil que nous donnons à quasiment tous les expatriés français qui s’installent à long terme en Belgique », indique Kim Descamps (Adviseur Estate Planning chez KBC). « Par contre, nous ne toucherons pas au contrat de mariage s’il s’agit d’un séjour à court terme. »

« Dans 80 % des cas que nous rencontrons, une telle modification du contrat de mariage devra être faite. Les clients et leurs notaires français sont souvent surpris de la différence qui existe sur ce point entre la France et la Belgique, et de l’impact fiscal négatif qu’une telle clause d’attribution totale au conjoint survivant peut potentiellement avoir », souligne Emilie Van Goidsenhoven (Tiberghien).


Testament

Le testament sera un outil très important pour régler une succession. Il permet de fixer au préalable les modalités de partage de l’héritage, l’idéal étant bien entendu de trouver un accord avec l’ensemble des héritiers et déterminer à l’avance quels biens seront placés dans le patrimoine du conjoint survivant en cas de décès, tout en respectant les quotités réservataires légales.

« Est-ce que le testament signé devant un notaire français sera valable en Belgique ? La réponse est clairement affirmative, pour autant que ce testament n’empiète pas sur la part des héritiers réservataires selon le droit belge », précise Alain Van Geel (Cabinet d’avocats Tiberghien).

« Dans de nombreux cas, il sera préférable de faire acter un nouveau testament en conformité avec le droit belge... En Belgique, le testament sert avant tout à porter des adapta- tions à la dévolution légale », précise Kim Descamps (KBC).

« Le testament permettra par exemple de limiter la part d’un enfant à son minimum légal pour privilégier les autres héritiers avec lesquels les relations sont meilleures, ou attribuer la réserve légale à un enfant pour privilégier un neveu ou une sœur.

En l’absence d’héritier en ligne directe, il est également possible de procéder à un double legs, c’est à dire de désigner comme légataire universel une ASBL, qui e chargera ensuite de reverser l’argent à un héritier (par exemple un tiers, un ami) en réalisant une importante économie fiscale. »

Au niveau de la France, il existe depuis 2006 une possibilité de réaliser un saut de génération, c’est à dire de faire passer une partie de l’héritage directement aux petits-enfants. « C’est une solution qui s’est rapidement développée, et cela répond à une vraie demande », souligne Hélène Cohadon (Banque Transatlantique Belgium). « En Belgique, le saut de génération est beaucoup plus contraignant, et reste limité au respect des quotités légales », précise Kim Descamps (Adviseur Estate Planning chez KBC).

« Ace sujet, nous allons probablement avoir prochainement quelques nouveautés au niveau du droit belge. à l’image de ce qui est possible en France depuis 2007, il sera probablement possible d’ici peu d’acter des accords familiaux pour régler une succession future, avec une part réservataire qui serait réduite à 50 %, ce qui permettra donc une plus grande latitude dans la répartition entre les héritiers », indique Alain Van Geel (Tiberghien).


Autres mesures

Les donations constituent une autre manière de limiter l’impact des droits de succession. Le délai de rappel de 15 ans en France signifie que la transmission commencera généralement beaucoup plus tôt qu’en Belgique, dès que le détenteur de patrimoine sait qu’il n’aura plus d’enfant. S’il y a une convention pour éviter la double taxation en matière de droits de succession, ce n’est en revanche pas le cas pour les droits de donation.

Dès lors, faire une donation par un résident belge à des enfants restés en France entraînera le paiement de droits de donation en France. « Contrairement à une idée faussement répandue, dans une telle situation, le transfert de domicile fiscal du donateur ne permet pas d’éviter l’imposition française », souligne Stéphanie de Jong (Banque Transatlantique Belgium). « A ce niveau, il n’y aura pas de solution miracle. »

Pascale Trussart (Lombard Odier) souligne de son côté que si un des enfants est en Belgique, « il sera possible de lui faire une donation en Belgique, en accompagnant celle-ci de règles de rapport à l’occasion de la succession ».

Mais ce type de solution ne conviendra pas à toutes les situations, et sera parfois difficile à faire accepter car elle entraîne un traitement inégalitaire des enfants durant la vie du couple. L’acquisition scindée (usufruit et nue propriété) d’un bien immobilier, précédée d’une donation préalable aux enfants, a été visée dans le cadre de la loi anti-abus passée par le gouvernement belge en 2012. Il semble que les règles soient devenues plus claires. « Ce type d’opération reste, selon l’administration fiscale belge, possible pour autant que la donation préalable aux enfants soit enregistrée ou qu’elle ne comporte pas d’obligation quant à l’utilisation de la somme donnée», indique émilie Van Goidsenhoven (Tiberghien).


Volet fiscal

En France, les détenteurs de patrimoine sont souvent très friands des produits d’assurance-vie en raison des nombreuses exemptions fiscales qui poussent à détenir ces produits. Ce ne sera pas du tout le cas en Belgique car ces produits, s’ils ont été souscrits par le défunt, rentreront dans sa masse successorale lors du décès, et seront dès lors taxés au taux marginal de 30 % en ligne directe.

« Dès lors, ce seront souvent des produits qui seront débouclés une fois l’expatrié installé en Belgique, sauf si son passage n’est que temporaire et qu’il compte rapidement retourner en France », souligne Pascale Trussart (Lombard Odier). Une fois que le notaire a vérifié les diverses donations et legs effectués du vivant et que le rééquilibrage des lots est fait afin de respecter les parts réservataires, la succession entre alors dans le volet fiscal.

« Dans le cas d’une succession d’un résident belge, tous les biens mobiliers et immobiliers laissés par le défunt entreront en compte pour déterminer les droits de succession, y compris les immeubles détenus en France. La convention de double imposition franco-belge en matière de droits de succession permettra toutefois de récupérer en Belgique les sommes qui seront payées en France. Mais la notion de bien meuble ou immeuble sera parfois différente d’un pays à l’autre.

En Belgique, une société civile immobilière (SCI) par exemple sera considérée comme un bien meuble, tandis qu’en France cette dernière sera assimilée à des biens immobiliers », constate Stéphanie de Jong (Wealth Management & Structuring chez la Banque Transatlantique Belgium) 


Les différences régionales

Les droits de donation et les droits de succession sont des matières régionalisées en Belgique. En matière de donation, la Flandre et la Région bruxelloise appliqueront les mêmes tarifs, à savoir 3 % pour une donation enregistrée en ligne directe, et 7 % pour toutes les autres donations.
La Wallonie se démarque avec trois taux : 3,3 % en ligne directe, 5,5 % entre frères et soeurs et 7,7 % pour les autres.

En matière de droit de succession, la Flandre reste la plus intéressante, grâce à un taux de droit de succession limité à 27 % (contre 30 % dans les deux autres régions) et grâce à deux mécanismes qui n’existent pas (encore) dans les autres régions.

  1. Premièrement, en Région flamande, la résidence familiale échappe aux droits de succession entre époux et entre cohabitants, afin de ne pas en arriver à la situation où le conjoint survivant est forcé de vendre la maison familiale pour pouvoir payer les droits de succession levés. Ceci vaut tant pour les conjoints mariés que pour les cohabitants, et c’est une protection idéale pour la demeure familiale. La région bruxelloise devrait d’ailleurs s’aligner prochainement sur la Flandre dans ce domaine à partir du 1er janvier 2014. Il ne restera bientôt plus que la Région wallonne qui continuera à sanctionner la transmission de la demeure familiale entre époux/cohabitants.
  2. Deuxièmement, il y a une séparation entre le patrimoine mobilier et immobilier en Flandre, ce qui permet de bénéficier deux fois des niveaux les plus bas des droits de succession. Une sérieuse économie pour les petites et moyennes successions, mais moins fondamentale pour les grosses successions.
  3. Enfin, il convient également de signaler que les pacsés n’auront pas les mêmes droits selon la région dans laquelle ils s’établissent. à Bruxelles en particulier, leur contrat français ne sera pas reconnu, et il faudra donc repasser dans votre administration communale pour signer un contrat de cohabitation légale, sous peine de vous faire taxer à 80 % en cas de succession subie. Dans l’ensemble, ces différences ne sont que rarement une des raisons qui justifieront l’établissement dans une région plutôt qu’une autre.

Simplification européenne

A partir de l’été 2015, un règlement européen viendra modifier quelque peu les règles du jeu en matière de droit successoral.

Un résident fiscal belge pourra ainsi demander à se voir appliquer le droit d’un des autres pays européens, pour peu qu’il ait un point de rattachement avec ce pays. En passant devant le notaire, le Français devenu résident fiscal belge pourra indiquer dans son testament qu’il souhaite se voir appliquer le droit successoral français (ou belge) sur l’ensemble de sa succession.

« Les avantages seront d’avoir un seul droit civil qui s’applique à l’ensemble de la succession. Ce sera une grande simplification », souligne Hélène Cohadon (Banque Transatlantique Belgium). « Par exemple, le Français expatrié ne sera plus obligé d’être soumis à la réserve légale belge (toujours respecter les quotités légales françaises), et il ne sera plus obligatoire de dénouer une grande partie des dispositions prises en France », confirme Kim Descamps (KBC).

« Par contre, le problème ne sera que déplacé dans le cas d’une succession internationale, car il faudra que les notaires locaux appliquent par exemple le droit belge pour régler la succession sur un bien immobilier en France, ou le droit français en Belgique, ce qui risque de parfois causer quelques lenteurs », ironise Alain Van Geel (Tiberghien). Ce dernier souligne également qu’en matière d’harmonisation européenne de la fiscalité successorale, un très long chemin reste encore à parcourir.

« Il n’y a actuellement aucune volonté concrète pour éviter la double imposition en matière de droit de succession et de droit de donation au niveau des pays européens, malgré la recommandation formulée par la Commission européenne le 15 décembre 2011. Il faut toutefois signaler qu’une donation effectuée en Belgique en faveur d’un enfant résidant en France permettra d’imputer les droits payés en Belgique sur les droits à payer en France, conformément au droit interne français, mais l’inverse ne sera pas vrai. »

 

Voir aussi : Une succession en Belgique, ça se prépare !

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