Janvier - avril : la Ligue belge d'improvisation

Paru dans JV29, février 2012 | Texte : Marie Delloye, Photos : E. Scagnetti, C. Sampermans, A. Van Lathem

EDIT : C'est le dimanche 19 janvier à 20h que démarre la saison 2020 de la ligue d'impro au Cirque Royal. https://ligueimpro.be/#la-saison 

Les matchs d'impro au théatre Marni, un spectacle à la fois théâtral et sportif.

 

 

Aux origines d'un spectacle à la fois théâtral et sportif

 

C’est à la sortie de la finale de Montréal de la coupe Stanley de hockey sur glace, dans les années 1970, que les deux hommes de théâtre Robert Gravel et Yvon Leduc s’interrogent sur le succès immense du hockey sur glace dans leur pays, et sa capacité à rassembler bien plus de foule qu’un théâtre classique. Sans trop réfléchir, ils calquent tout le décorum du sport national sur leur passion, et inventent des matchs d’improvisation qui se dérouleraient dans une fausse patinoire, avec un arbitre, des équipes aux « chandails » de couleurs et marqués aux numéros et noms des joueurs, un maître de cérémonie et un maître de musique pour chauffer le public, exactement comme dans un match de hockey.

Quelques mois plus tard, dans un café de Montréal se tenait le premier match d’improvisation, couronné d’un succès tout à fait inattendu.

Quand en 1982, la Ligue Nationale d’Improvisation arrive au Festival d’Avignon, une compagnie parisienne séduite décide de lancer la Ligue d’Improvisation Française.

Eux-mêmes viennent jouer leurs matchs à Bruxelles et à Liège, jusqu’à ce que quelques comédiens belges décident en 1984 de se réunir sous les couleurs de la Ligue d’Improvisation Belge.

« Au début, explique Jean-Marc Cuvelier, cofondateur de la ligue belge, le concept n’était pas compris ni approuvé par tout le monde. Plusieurs comédiens professionnels réprouvaient le fait d’allier sport et compétition avec le théâtre, ou de faire participer le public au point de le laisser voter pour la meilleure équipe ! » Car l’improvisation c’est cela, une joute sportive entre deux équipes qui tirent au sort des cartons pour improviser autour d’un thème précis, des règles innombrables et strictes et une durée qui varie entre 30 secondes et 20 minutes par improvisation.

 


Une discipline complète et complexe


Selon Jean-Marc Cuvelier, « l’impro est au théâtre ce que le jazz est à la musique. C’est un état d’esprit particulier, une sorte de parodie.

Le plus important pour le comédien improvisateur est de se poser en déséquilibre, d’oser prendre des risques sur scène. Car le propre de l’improvisation c’est la prise de risque. Un grand improvisateur aura l’audace et la fierté de s’abandonner à l’univers de son partenaire, et d’accepter de ne pas toujours être bon tout en restant généreux avec le public. Une mauvaise improvisation se remarque quand les comédiens jouent uniquement dans l’optique de gagner le public, dans ce cas-là on passe à côté de l’objectif des matchs d’impro.

Nous sommes avant tout des raconteurs d’histoires, nous sommes là pour créer un univers et y emmener le public en gardant une certaine complicité entre les deux équipes, dans le but de cultiver cette histoire, la faire durer le plus longtemps possible. Les matchs d’impro ont ceci de particulier que les adversaires sont aussi partenaires. Selon moi, les meilleurs matchs sont ceux lors desquels le public voterait pour les deux équipes… »


À Bruxelles, la ligue d’impro est composée presque uniquement de comédiens professionnels, qui se réunissent lors des « entraînements » avant le fameux championnat qui a lieu chaque année de mi-janvier à mi-avril, deux fois par semaine.

Commence alors un travail très formateur qui développe la créativité et l’imagination de ces éternels curieux qui peuvent inventer une silhouette, une manière d’être, un décor, des objets et même des langages différents, directement et dans n’importe quelle situation ! Une discipline qui demande non seulement une curiosité et une ouverture constante sur le monde, mais aussi une faculté de trouver un maximum de liberté dans un cadre très restreint… Car pour être improvisateur, il ne suffit pas d’avoir une imagination sans borne, il est aussi impératif de prendre en compte toutes les règles d’écoute, d’occupation de l’espace, de langage, de gestuelle, de durée et de thèmes toujours imposés.


D’ailleurs, l’arbitre veille et une fois sur scène, rien ne lui échappe, ni le non respect du thème, ni le manque d’écoute, ni le retard de jeu, ni le cabotinage (jeu basé sur la séduction du public), ni la rudesse excessive… Autant de paramètres à maîtriser !

 


Deux grandes inconnues : le public et le partenaire


Lorsqu’il se rend à un match d’improvisation, le spectateur sait qu’il a un rôle à jouer dans la désignation de l’équipe gagnante. C’est en partie de lui que dépendent l’ambiance et l’issue des matchs, et gare à son mécontentement !
Au Québec, le public venait voir les matchs en hiver comme en été, et même quand le sol était recouvert d’un mètre de neige, ils protégeaient leurs chaussures de caoutchouc imperméables… qu’ils lançaient sur la patinoire de la même façon qu’ils le faisaient pour montrer leur désaccord lors des matchs de hockey sur glace !

Inspirés par cette « tradition » sportive, les fondateurs de la ligue d’impro belge ont décidé de remplacer le caoutchouc par des pantoufles, à lancer en cas de réprobation du public.


« Généralement, explique Jean-Marc Cuvelier, le public reste calme avec sa pantoufle mais il arrive de temps en temps que certains manquent de tact et la lancent à tort et à travers. C’est le prix à payer pour une interaction essentielle entre le public et les comédiens. » S’il faut en quelque sorte « éduquer » le public au cadre de l’improvisation, il n’est pas moins important de former les comédiens à le rencontrer et le gérer : « Nous avons la chance de remplir les salles de 400, 500 personnes au théâtre Marni lors de nos représentations, et aucun comédien qui n’a jamais fait d’impro ne peut monter directement sur scène. À la ligue d’impro belge, nous demandons aux comédiens de prendre le temps pour se former avant de rencontrer le public, c’est primordial. »


Autre difficulté pour chaque improvisateur : son adversaire.

 

Puisqu’il s’agit de créer une histoire ensemble, l’improvisateur doit pouvoir s’adapter et écouter chaque détail de celui qui joue en face de lui, son style, ses connaissances, sa manière d’être et de parler… Une difficulté essentielle qui permet toute la spontanéité et la richesse d’un match et détermine sa réussite ou son échec. Ce n’est pas un hasard si après chaque championnat, les équipes qui ont travaillé ensemble pendant toute la saison sont dissoutes et remodelées différemment l’année d’après… C’est cette volonté de privilégier l’inconnu et l’inconfort des comédiens qui, selon Jean-Marc Cuvelier, sépare la ligue d’improvisation belge du reste des spectacles d’impro qui se sont développés ses dernières années.

« Certains amateurs d’impro qui se lancent sur scène répètent souvent les même personnages, mimiques, et préfèrent rester dans les mêmes équipes parce qu’ils connaissent le jeu des autres. C’est dommage. »

 


L’impro à la belge

 

Peut-on parler d’improvisation typiquement belge ? « Certainement, répond Jean-Marc Cuvelier, dans la mesure où nous avons un don pour le surréalisme, un côté ludique et très imagé qui nous rapprocherait des Québécois. J’ai également participé à la création de la BIL, Ligue d’improvisation en néerlandais, et nous avons un grand plaisir à jouer avec eux, dans un joyeux mélange des deux langues, et ça fonctionne très bien ! »


Quant à l’accent belge, Thomas Demarez, comédien professionnel belge et membre de la ligue depuis 2008, assure qu’il a tendance à disparaître lors des matchs, comme celui des Québecois qui réapparaît pourtant dès la fin des matchs !

Par rapport à la France qui contient de très nombreuses ligues d’impro dans chaque région, la Ligue d’improvisation belge est la seule grande structure professionnelle, entourée par d’autres fédérations amateurs et compagnies de spectacles. Ces petites structures deviennent de plus en plus importantes, au fil du succès grandissant de la discipline : « En 1995, quand j’étais membre de la fédération amateurs, nous étions 150 membres, alors qu’aujourd’hui ils sont 700, explique Thomas Demarez, mais nous sommes encore loin des Québecois qui pratiquent presque tous ce « sport national », jusque dans les écoles primaires ! » Depuis ses débuts, Jean-Marc Cuvelier a eu la chance de voir défiler trois générations de spectateurs, preuve d’un succès bien mérité, même s’il avoue s’inquiéter du caractère un brin intempestif des nouvelles générations qui, en accord avec leur temps, veulent « tout jouer tout de suite »… Une tendance confirmée par Thomas Demarez : « Quand je suis entré à la LIB en 2008, j’ai rencontré des membres plus âgés qui faisaient partie du groupe depuis dix ans. Maintenant que j’entame ma cinquième saison, je remarque que les comédiens entrent et partent tous les quatre à cinq ans environ, parce qu’ils ont envie d’explorer d’autres pistes… »

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