La maison Cremers : fabricants de bougies

Paru dans JV16, déc-janv.2010 | Texte : Julie Galand

Sommaire

 

La maison Cremers : les âmes incandescentes

 

 

 


À une demi-heure de Bruxelles, dans la petite ville de Wavre, la famille Cremers créé bougies et cierges depuis cinq générations… Visite éclairée de leur étonnant atelier.

 

Derrière le portail de cette jolie maison située dans une ruelle calme du centre de Wavre se cache une petite manufacture d’un genre inhabituel, dont le caractère familial et chaleureux se manifeste dès l’entrée. Donnant sur le hall accueillant et faisant face au salon familial, une petite boutique colorée expose joyeusement la production de Pablo Cremers et de son épouse Jade.

Ici, des caisses en bois récupérées à la fermeture d’une ancienne fabrique de cierges abritent une sélection de photophores, mais surtout des rangées de bougies, lisses, rainurées ou torsadées, en forme de cubes, de boules, de cylindres, de gouttes, de bulbes ou même de fleurs. Les teintes bordeaux, turquoise, absinthe ou fuchsia côtoient des éditions dorées et argentées destinées aux fêtes de fin d’année.

Un modèle de bougie « creuse », comme intégrée à un photophore lui-même fait de cire, est l’une des spécialités de la maison. Elle permet de diffuser de l’intérieur une lumière douce et colorée.

La discrétion de l’endroit pourrait abuser de nombreux passants, et vous-même n’auriez pas eu l’idée de franchir la grille de cet endroit hors du commun, si nous ne vous avions pas vendu la mèche…

 

 

Maison Cremers - 3 quai du Trompette, 1300 Wavre
Tél : +32 (0) 1 22 21 12
Site : eliotetlila.com

 

 

 

 


Paru dans JV16, déc-janv.2010.


Manufacture de cierges et bougies depuis 1854

 

L’histoire de cette manufacture de cierges et de bougies remonte à cinq générations.

Elle commença en 1854, lorsque l’arrière-arrière grand-père de Pablo Cremers se lança dans une petite activité de blanchiment et de conditionnement de cire d’abeille. « Étant naturellement jaune, la cire était alors réduite en copeaux et blanchie progressivement à l’air libre, dans le jardin, à l’emplacement de l’actuel atelier. Une fois décolorée, elle était ensuite conditionnée sous forme de pains dont se servaient les nombreux
petits fabricants de cierges qui, dans chaque paroisse, s’occupaient de la rouler en cierges », explique Pablo.

Lorsque la 2ème génération prend le relais, l’arrière grand-père décide d’étendre son activité à la fabrication de cierges proprement dite. Celle-ci ne commença donc véritablement qu’au tournant du siècle dernier. L’évolution du métier ayant conduit à la fonte et au mélange de la cire, conditionnée ensuite pour de nombreuses petites manufactures, un atelier est construit à l’arrière de la maison. L’activité familiale ne cessa pas vraiment durant la Seconde guerre mondiale, mais prit un tour pour le moins insolite : le grand-père de Pablo
ne parvenant plus à se procurer les matières premières nécessaires, il se lança dans la fabrication de « faux cierges d’autel », figurés par d’épais manchons de bois peints en blanc et surmontés d’une petite ampoule électrique.

 

Evolution des techniques de fabrication

 

Jusqu’en 1962, la seule manière de façonner les cierges était de ramollir la cire d’abeille à l’eau tiède, puis de la pétrir et de la rouler à la main sur un banc, autour d’une mèche de coton.

Aujourd’hui, la technique exclusivement manuelle du roulage a pratiquement disparu au bénéfice du trempage, effectué à l’aide d’un carrousel permettant de fabriquer 92 cierges à la fois par une série d’immersions successives des mèches de coton dans une cuve de cire chaude.

Parallèlement à ce mode de fabrication, le père de Pablo fit l’acquisition de trois anciennes machines à couler les cierges d’offrande qui produisent chacune encore environ 200 cierges toutes les 20 minutes.

 

De la cire d'abeille à la paraffine

 

« La cire d’abeille intervient encore partiellement dans la fabrication des cierges, mais la paraffine - un dérivé de pétrole plus stable et meilleur marché que la cire d’abeille - est aujourd’hui devenue l’ingrédient de base des bougies de décoration. Pour réaliser celles-ci, nous employons donc une paraffine de bonne qualité, pauvre en huile, qui garantit une combustion très neutre, c’est-à-dire à la fois efficace et relativement peu génératrice d’émissions de substances toxiques ».


Depuis 2001, la fonte des cires, qui s’effectuait jadis à la flamme vive, se fait par circulation d’eau chaude dans des cuves en inox à double parois équipées d’un thermostat. Une minuterie permet de mettre la cuve en route à 4h du matin, et de porter les plaques de paraffine à une température de 78 degrés. Cette température,
idéale selon Pablo Cremers, permet d’obtenir un résultat lisse mais pas trop cassant, et relativement dépourvu de bulles.


Principes écologiques

 

Autre parti pris de la maison : ni parfum, ni teinture dans la masse.

« En effet, la fonction première d’une bougie est de bien brûler, que ce soit pour éclairer chaleureusement une pièce ou parce que la flamme elle-même revêt une signification forte, comme dans une église. Je trouve dommage de parfumer les bougies, d’autant qu’il se dégage de la combustion des bougies parfumées certaines substances toxiques. Il est alors nettement préférable d’utiliser un brûle-parfum qui chauffe le parfum au lieu de le brûler.

 
Pas de coloration dans la masse : un triple avantage

Quant au parti pris de ne pas colorer les bougies dans la masse, également plus écologique, il offre d’autres avantages :

« Tout d’abord, la lumière perce et se diffuse mieux depuis l’intérieur lorsque celui-ci reste blanc. La patine extérieure étant constituée de différentes cires dont le point de combustion est plus élevé, elle forme une couche de protection permettant une combustion plus harmonieuse de la bougie. L’effet de lumière sur la partie externe n’en est que plus intéressant.

En outre, ce système nous offre de sérieux avantages en termes de stockage, car nous ne pourrions pas stocker en permanence 80 formes de bougies dans 72 couleurs différentes, soit près de 6000 bougies différentes.

Enfin, ce qui ne gâche rien, la combustion de bougies non parfumées et non teintées dans la masse permet une combustion plus saine car plus pauvre en composés chimiques et cancérigènes tels que le formaldéhyde et le benzène ».

Et l’esthétique n’en pâtit guère, avec l’aspect mat et brut de la finition, volontairement irrégulière, qui donne à la collection un caractère original, à la fois noble et rustique.

 


Paru dans JV16, déc-janv.2010.

 

 La maison Cremers aujourd'hui

 

 

La reprise de l’entreprise familiale par Pablo, en 1999, n’était pas vraiment préméditée : « Ni mes parents, ni moi n’y pensions initialement. J’ai commencé des études supérieures, tenté l’interprétariat, et me suis finalement rendu compte en rencontrant ma femme que je ne me voyais pas faire autre chose : travailler la matière, dans cet univers, cela fait partie de ma façon d’être et de vivre ».

Aujourd’hui, Pablo Cremers s’occupe davantage de la gestion des commandes et des contacts avec les clients, tandis que Jade s’occupe du magasin et de la comptabilité. Quant à la production proprement dite, elle est l’oeuvre de trois compagnons de longue date, Philippe van Hollandt, Fabrice van Hove et Gricha Branche.

Depuis 10 ans, à côté des cierges pascaux qui représentent encore environ 60 % de sa production, la Maison s’est lancée dans la fabrication de bougies de décoration, qui permettent de compenser la légère tendance à la baisse des commandes de cierges, influencées par la désaffection des églises.

Distribuées à travers un réseau d’environ 70 détaillants principalement implantés dans des villes de Wallonie et à Bruxelles, les bougies Cremers commencent même à s’exporter en France et en Suisse. Une jolie réussite pour une entreprise qui tient à conserver sa taille et son mode de fonctionnement actuels en alliant ce qui a fait sa réputation aux enjeux et nécessités de l’économie actuelle.

Leur credo ? « La vigueur d’une entreprise familiale se mesure dans sa capacité à évoluer sans jamais perdre l’acquis transmis par les générations précédentes. Puiser de nouvelles forces créatrices dans le savoir-faire accumulé au fil du temps pour que l’aventure se poursuive. »


Les raisons d’un succès

 

« À l’époque de la création de la Maison Cremers, nous apprend Pablo, plusieurs autres sociétés familiales ont vu le jour à travers la Belgique dans le même créneau. Certaines d’entre elles étaient encore actives il y a 10 ans seulement. Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point ce métier s’est perpétué de génération en génération : les dirigeants actuels des entreprises qui ont perduré sont tous les descendants des fondateurs. Aujourd’hui, la situation est un peu différente : pour une manufacture qui s’est transformée en “ grosse boîte ”, beaucoup ont tenté de se développer et ont échoué. Nous sommes dès lors nettement moins nombreux aujourd’hui qu’avant. »

La Maison Cremers, elle, a opté pour une adaptation en douceur de ses produits et de ses techniques, une évolution stable, rationnelle et sereine, qui ne se disperse pas à tous vents.

« Par rapport à d’autres, nous n’avons pas tellement tenté de nous agrandir ou de nous développer sans arrêt ». La demande a bien sûr évolué au fil du temps, en parallèle avec la baisse de fréquentation des églises : « Il y a vingt ans, nous avions besoin d’un ouvrier à plein temps rien que pour la fabrication des cierges. Celle-ci n’occupe même plus à présent l’équivalent d’un mi-temps. »

 


Petit tour en coulisses

 

Côté cour, l’atelier est divisé en plusieurs petites pièces, en fonction des étapes et des types de produits qui y sont fabriqués.

Dès l’entrée, de gros blocs de paraffine blanche attendent leur tour.

Dans un petit réduit attenant, les cierges d’offrande sont fabriqués par « coulage » dans d’improbables machines qui semblent avoir déjà bien vécu. Plus loin, le compartiment consacré au moulage donne sur la pièce principale, où s’effectuent les finitions.

Ici, on vit au rythme de deux périodes charnières : en été et jusqu’en décembre pour les produits liés aux fêtes de fin d’année, et de janvier à mars pour la production quasi-exclusive de cierges de Pâques. À cette époque, les cierges sont agrémentés de motifs joyeux et colorés, un rien naïfs, autrefois peints à la main et aujourd’hui réalisés en cire, puis moulés sur base d’un modèle créé par la céramiste Myriam Le Paige. « Ce système, plus simple, nous permet aussi de nous distinguer de la concurrence, souvent plus tentée par des motifs plus sombres et plus traditionnels ».

Une fois fondue, la paraffine est versée dans des seaux ou des cruches par le biais de robinets situés au bas des cuves. Elle est ensuite coulée dans des moules classiques, en bois vernis ou en aluminium, ou plus atypiques, selon l’effet souhaité.

Ainsi, il y a peu, Pablo a récupéré d’anciens réflecteurs de spots, dont la forme permet aujourd’hui la création de bougies creuses ayant la propriété de flotter en étant partiellement immergées. Un modèle qui se prête à merveille à la décoration de plans d’eau et autres piscines pour les soirs d’été.


Pour compléter sa production, la maison s’est essayée à la vente d’autres objets et produits liturgiques, tels que vins de messe, neuvaines, hosties ou chasubles bien que la vocation première reste toujours de fabriquer des bougies et des cierges de qualité. Sous l’appellation « Le Bal des Lucioles », la famille Cremers investigue également du côté des illuminations festives destinées aux réceptions. Avis aux amateurs éclairés.


Maison Cremers - 3 quai du Trompette, 1300
Wavre, tel : 010 22 21 12, site : eliotetlila.com.

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